Projet de loi Pinel : vers un statut des baux commerciaux à deux vitesses ?
Le projet de loi relatif au commerce, à l’artisanat et aux très petites entreprises consacre aux baux commerciaux de nombreuses dispositions destinées à renforcer la protection du locataire : lissage des augmentations de loyer, renforcement du droit de résiliation triennale, encadrement des charges refacturables, droit de préemption en cas de vente de l’immeuble loué, etc.
En réalité, ce sont les PME implantées en centre-ville, supposées être titulaires d’un bail « classique » de neuf ans, qui font l’objet de la sollicitude du Gouvernement et du Parlement.
Dans la version initiale du projet de loi, le mécanisme de lissage des hausses de loyer était déjà écarté à l’égard des baux comportant une durée supérieure à neuf ans ou une clause relative à la fixation du loyer, censés être l’apanage des centres commerciaux dans lesquels règnent les grandes enseignes.
Quelques mois plus tard, lorsque l’Assemblée nationale a restauré le caractère d’ordre public du droit de résiliation triennale, les bailleurs ont obtenu une dérogation notamment pour ces mêmes baux de plus de neuf ans. Le Sénat a pour sa part favorisé le maintien de ce statut dérogatoire en validant la clause des centres commerciaux fixant à l’avance la durée du bail renouvelé à une durée égale à celle du bail initial (en pratique, dix ou douze ans). Il aura fallu l’improbable alliance des sénateurs de l’UMP et du Parti Communiste pour que disparaisse la dérogation au lissage des hausses de loyer, mais le Gouvernement et l’Assemblée n’ont pas encore dit leur dernier mot… Et il demeure acquis en droit positif que les baux de plus de neuf ans ne relèvent pas du plafonnement du loyer de renouvellement.
C’est donc un véritable régime dérogatoire propre aux baux de plus de neuf ans qui se profile sous le signe de la liberté : pas de plafonnement, peut-être pas de lissage du déplafonnement, aménagement de la durée du bail en cours et du bail renouvelé. Le législateur part du principe que ces baux sont propres aux centres commerciaux et que les locataires concernés sont en mesure de les négocier.
Il est exact que les baux de dix ou douze ans sont d’usage dans les centres commerciaux, où la liberté contractuelle est déjà très utilisée. Mais il y a là une formidable échappatoire aux nouvelles contraintes introduites par le projet de loi Pinel, car rien n’interdira aux autres bailleurs d’imposer une telle durée à leurs locataires.
L’ordre public n’a aucune effectivité s’il suffit pour y échapper de stipuler une durée supérieure à neuf années. Il est à craindre qu’un tel cadeau empoisonné soit accepté par ce petit locataire que le législateur veut protéger, mais qui connaît mal les subtilités du statut des baux commerciaux, et n’a bien souvent pas les moyens de rémunérer un conseil.
À l’inverse, rien n’interdira à un locataire plus puissant d’exiger la conclusion d’un bail de neuf ans de manière à bénéficier des avancées du projet de loi Pinel. Le législateur part de l’idée assez juste que les locataires n’ont pas tous besoin d’une protection identique, mais ce n’est pas dans la durée du bail qu’il trouvera un critère approprié. Cela revient à abandonner à la partie la plus forte – souvent le bailleur, parfois le locataire – le choix entre le régime « classique » des baux de neuf ans et le régime dérogatoire des baux de plus de neuf ans.
Frédéric Planckeel
Maître de Conférences à l’Université de Lille 2
Avocat Associé