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Affaire Baby Loup : la consécration jurisprudentielle d’une nouvelle laïcité ?

Le 19 juin 2014

 Par un arrêt du 27 novembre 2013, la Cour d’Appel de Paris a estimé que l’association Baby-Loup pouvait être qualifiée « d’entreprise de conviction en mesure d’exiger la neutralité de ses employés » pour justifier le licenciement de l’ancienne directrice de la crèche qui refusait de retirer son voile islamique. Elle s’oppose ainsi à la Chambre sociale de la Cour de Cassation, qui avait invalidé ce licenciement par un arrêt du 19 mars 2013.

L’extension inédite de l’obligation de neutralité aux salariés du secteur privé

La cour ouvre ainsi la possibilité pour tout employeur, dont l’activité relèverait d’une mission d’intérêt général, d’imposer une obligation de neutralité à ses employés, dès lors qu’il s’agit d’une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

En ayant recours à la notion jurisprudentielle d’entreprise de conviction, également appelé « entreprise de tendance », la Cour d’appel reconnaît de manière implicite que le seul exercice d’une mission d’intérêt général ne permet pas d’appliquer une obligation de neutralité aux salariés du secteur privé qui ne gèrent pas un service public, se conformant sur ce point à la décision de la Cour de Cassation intervenue dans cette affaire.

Néanmoins, « l’entreprise de conviction exerçant une mission d’intérêt général », notion inédite en droit, semble constituer un outil juridique créé particulièrement pour le cas d’espèce afin de permettre l’importation du principe de neutralité religieuse de l’Etat dans la sphère privée.

Or, ainsi que l’a rappelé la Cour de Cassation, si le principe de laïcité prend la forme de l’obligation de neutralité pour les agents du service public, s’agissant des salariés du secteur privé, l’interdiction d’afficher des signes religieux ne peut résulter que de la finalité du travail accompli dans l’entité. La conciliation de la liberté d’entreprendre, qui appartient à l’employeur, et de la liberté de conscience et de son expression vestimentaire demeure régie par les dispositions de l’article L. 1121-1 du Code du Travail, qui exigent que les restrictions aux libertés individuelles doivent être justifiées par rapport à la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, même dans une entreprise de tendance.

Dès lors, en généralisant par principe l’obligation de neutralité à tous les salariés, quelles que soient leurs fonctions effectivement exercées, des entreprises de conviction exerçant une mission d’intérêt général, la Cour d’Appel paraît méconnaître aussi bien le Code du Travail que la portée du principe de laïcité.

La neutralité et le principe de laïcité portés au rang de conviction

Il est particulièrement intéressant de noter que la Cour d’appel demeure silencieuse quant à la prétendue conviction qui fonderait l’obligation de neutralité des salariés de la crèche Baby-Loup.

L’on suppose à l’évidence qu’il s’agirait, selon la Cour d’appel, d’une crèche de tendance neutre ou de tendance laïque, ce qui serait inédit dans la jurisprudence interne et européenne. Or, le raisonnement de la cour consiste à faire de la neutralité une conviction, ce qui est paradoxal dans la mesure où ce principe consiste justement à éviter l’expression dans la sphère publique des convictions personnelles.

La neutralité deviendrait ainsi une conviction dès lors qu’il s’impose de « transcender le multiculturalisme des personnes » employées par la crèche. Or, l’appréciation sociologique et subjective de la Cour reviendrait à permettre l’application d’une « neutralité renforcée » dès lors que l’activité s’inscrirait dans un environnement multiculturel et multiconfessionnel, dans le milieu de la petite enfance. Ceci peut conduire à une rupture d’égalité entre les salariés en fonction de l’environnement dans lequel ils travaillent.

La Cour d’appel semble inciter le législateur à se saisir du sujet compte tenu de la nécessité de protéger « la liberté de pensée, de conscience, de religion à construire pour chaque enfant ». Néanmoins, on peut sérieusement douter de la constitutionnalité d’une telle loi.

La décision de la Cour d’appel de Paris semble donc empreinte d’une double contradiction juridique.

La première consiste en l’application à une activité purement privée (d’intérêt général certes mais ne constituant pas un service public puisque non contrôlée par une personne publique) du principe de laïcité qui, par essence, ne peut concerner que la sphère publique.

La seconde consiste à faire de la laïcité une conviction  qu’une entreprise serait libre ou non d’afficher, le régime juridique applicable aux salariés devant s’y adapter. Or, la laïcité ne saurait être une option, il s’agit d’un principe républicain inscrit à l’article 1er de la Constitution régissant l’organisation de la puissance publique.

En élargissant de façon impropre le champ de la laïcité, la cour d’appel procède paradoxalement à son affaiblissement. Il faut espérer que l’assemblée plénière de la Cour de Cassation saura rendre à la laïcité sa cohérence et sa vigueur.

Nadia BEN AYED et Aloïs RAMEL,
Avocats à la Cour  SCP SEBAN et Associés

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